Laurent

07 septembre 2008

Cinémotion: Sweeney Todd (Tim Burton - 2007)



Le petit dernier de Tim Burton vient de sortir en DVD, l'occasion pour moi de livrer mon avis sur le film et, subsidiairement, son réalisateur souvent adulé.

Après de très agréables Noces Funèbres, "Sweeney Todd" me conforte dans l'idée que Tim Burton se bonifie en vieillissant.
En lisant ce premier constat personnel, peut-être avez-vous deviné que je ne fais pas partie des inconditionnels du cinéaste.
Certes je reconnais en lui un artiste de talent, mais je n'adhère que moyennement à ses choix esthétiques, son univers m'apparaissant plus chancelant que décalé... Entre divertissement familial gentiment naïf et film d'auteur plutôt sombre, je trouve la cohésion assez fragile et le résultat final paradoxalement convenu...
A ce jour, le film de Burton que je préfère reste encore son hommage rendu au Septième Art à travers le portrait drolatique du "plus mauvais cinéaste de l'histoire du cinéma", j'ai nommé ED WOOD (Edward Davis Wood Junior de son vrai nom, incarné par un Johnny Depp au sommet de sa forme, comme d'habitude).

A vous lecteurs pro-Burton, je peux comprendre votre révolte devant mes propos ! Aussi, je vous prie de ne pas trop m'en vouloir pour les quelques lignes qui suivent, car j'étayerais encore mon avis quelque peu défavorable en égratignant le cas Sleepy Hollow :
Comme souvent chez Burton, la direction artistique est remarquablement classieuse. Eclairages, images, décors fastueux... Tout est parfaitement maîtrisé. Mais alors pourquoi la noirceur mise en avant y semble si aseptisée, si artificielle dans sa perfection ? Pourquoi costumes et coiffures, pourtant luxueux, paraissent à peine sortis de l'atelier du costumier-perruquier ?
Quant à Tim Burton le conteur visionnaire, on le sait amoureux du folklore et des histoires Halloweenesques. Très bien, seulement voila: ne laisse t'il pas trop exploser sa puérilité en demandant au chef-décorateur de planter des épouvantails à tête de citrouille un peu partout autour du village maudit ? Le trait est gros, quand même.
A moins qu'il s'agisse de parodie ou d'autodérision, est-il nécessaire de matraquer ainsi par l'image ses émotions et références, quitte à prémacher celles du spectateur ?
A mon sens, les trop généreuses intentions de Burton finissent par conférer à la bourgade de Sleepy Hollow des allures de décor pour train-fantôme de fête forraine !

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Cependant, mon évocation de Sleepy Hollow n'est pas innocente, car son ambiance visuelle se retrouve presque à l'identique dans le film qui m'intéresse ici. "Presque" parce que tout fonctionne mieux dans Sweeney Todd, par ailleurs très différent de son aîné, à commencer par le traitement surprenant.



D'une vieille histoire de barbier sanguinaire qui aurait, parait-il, existé, Tim Burton choisit d'en faire une comédie musicale gore.
Un parti pris sans doute respectueux du long passé théâtral de cette légende très populaire chez nos amis anglo-saxons. Assumant ainsi ses origines sur les planches, le spectacle en reprend de nombreux codes, et crédibilise le cosmétisme Burtonien qui, à l'inverse, plombait Sleepy Hollow.
Ici les tics "clip" du réalisateur n'apparaissent que très subrepticement: une mèche peut-être trop blanche, trop joliment symbolique sur la tête tu ténébreux barbier; une caméra qui serpente trop vite à travers les rues poisseuses de ce vieux Londres envoûtant où l'on aurait aimé fureter plus...
Bref, quelques petits détails très superficiels qui relèvent surtout de l'appréciation personnelle et ne sont pas sujets au reproche tant le film surprend par sa grande qualité globale.



Le spectateur amateur d'ambiances lugubres est immédiatement happé par la virtuosité expressionniste déployée à l'écran: visages blafards sculptés à l'éclairage, jeux d'ombres et clairs obscurs, grain charbonneux dans chaque image...
Visuellement parlant, Sweeney Todd est sans doute le film le plus ambitieux de Tim Burton. Le plus "noir et blanc" de ses films en couleurs.
Devant un tel univers, difficile de ne pas craindre un déchainement... La tempête a bien lieu, et de quelle manière !
Cette fois, Burton n'a pas le cul entre les chaises de Walt Disney et de Lovecraft, il a tranché (c'est le cas de le dire): ce sera donc le côté le plus obscur et saignant de la Force ! A ce propos, les scènes d'égorgement sont d'un réalisme assez insoutenable et auraient justifiées, je crois, une interdiction aux spectateurs de moins de 16 ans.
Mais cette violence exacerbée n'est nullement gratuite, car nous assistons au film le plus désenchanté, le plus misanthrope, et probablement le plus libre de Tim Burton.



Cette terrible histoire développe une réflexion désabusée sur la nature humaine, sur la vengeance qui n'engendre que vengeance et tragédie, sur le fait que tout coupable fut d'abord un innocent...
Ici plus que jamais, l'homme est un loup pour l'homme, et dévore son prochain. Au sens figuré, comme au sens propre !
Le film évoque ainsi toutes les déviances, même les plus taboues...
Mais surtout, comble du politiquement incorrect, au sommet de cette arborescence tragique repose le plus annobli des sentiments humains. L'amour, le couple.
L'amour qui se kidnappe dans une jungle de rivaux convoiteurs, ne laissant que douleur et haine vindicative derrière lui; l'amour qui pulvérise tout sens moral et repousse les limites de la complicité, jusqu'au crime.
Ne restent en vie que les enfants, les innocents.
Mais innocents pour combien de temps ?
L'un d'eux ne l'est plus; les deux autres forment un jeune couple...



Sorte de diamant noir ruisselant de sang , Sweeny Todd laisse le spectateur un peu groggy.
Ce dernier vient d'assister à un ahurissant geste d'artiste. Un électrochoc tempéré par des chants délicats aux paroles parfois droles et faussement naïves.
Que dire de l'interprétation ? Depp est grand, Helena Bonham Carter est époustouflante.

Malgré la dureté des idées développées, Sweeney Todd reste une oeuvre intrinsèquement romantique, comme en témoigne la toute dernière image riche en symbole... Ce dualisme dresse un certain portrait de l'être humain, du monde qu'il s'est créé.
Par passion.
Par faiblesse.


Laurent.

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04 septembre 2008

The Whitest Boy Alive - Golden Cage

J'adore cette chanson. Clip excellent aussi...

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Cinémotion : L'Empire Du Soleil (Steven Spielberg - 1987)



Le 7 Décembre 1941, l'attaque de Pearl Harbour met un terme à l'insouciance bourgeoise de la concession internationale basée à Shanghaï.
Fils d'un des riches industriels de la colonie, le jeune James Graham voit sa vie et ses rêves bouleversés lorsque il se retrouve séparé de ses parents.
Emprisonné dans un camp, l'adolescent devra user de toute son imagination pour apprendre à survivre...



En 1987, adaptant le roman éponyme de J.G.Ballard, Steven Spielberg l'enfant terrible d'Hollywood signait sans doute un de ses plus beaux films. Il offrait également à Christian Bale alors âgé d'une douzaine d'années -aujourd'hui Batman pour Christopher Nolan- le destin que nous lui connaissons.

Spielberg oblige, les moyens sont là pour soigner la forme, et à l'image des nombreux décors réels grimés pour l'occasion, la fresque historique jouit d'une reconstitution assez époustouflante.
Mais l'Empire du Soleil est l'antithèse de la luxueuse coquille vide, car le film tire toute sa quintessence du parcours initiatique qu'il narre avec justesse et étude de moeurs en filigrane.

Ici le cinéaste met ses tics lénifiants au vestiaire pour disséquer avec sensibilité les tourments humains, à commencer bien sûr par ceux du jeune héros. Impossible par exemple d'oublier la scène faisant suite aux larmes de la séparation lorsque, débarrassé de la vigilance des parents, l'enfant se plait d'abord à fumer la pipe en parcourant à vélo l'intérieur de la demeure familiale tel un Ubu en culotte courte.
Ce gosse de riches qui, au début, rêve et mime la guerre dans sa chambre avec ses petits avions en plastique est un peu le double de Spielberg, cet autre môme gâté et rêveur candide qui se crée des images grandioses...
Aucun clin d'oeil cinéphile du réalisateur n'est donc gratuit: la traversée effrayante en voiture d'un Shangaï poisseux et dangereusement fébrile rappelant presque le Los Angeles de Blade Runner; ou l'errance du gamin devant l'affiche géante de "Autant En Emporte Le Vent" sur un mur lézardé... Autant de scènes superbes pour mieux montrer à quel point, brusquement, c'est l'illusion d'un monde d'apparences qui s'effrite et vole en éclats.



Point de ficelles manichéennes ou de vision unilatérale dans L'Empire Du Soleil. Bridés ou non, tous les yeux sans exception subissent et pleurent la guerre.
La magie du cinéma est bien là, mais ne se substitue jamais à la gravité du contexte.
Aux beaux travellings et panoramiques Spielbergiens sont confrontées les images éprouvantes de ces êtres que l'on voit progressivement décliner tout au long du film. En haillons, de plus en plus faibles et malades (à l'image de la pimpante madame Victor).



Jusqu'au dénouement, la débrouillardise parfois insolente du petit James Graham n'enlève rien à l'âpreté de son périple, et les principaux moments de réconfort se trouvent concentrés dans les petits trafics d'entraide avec les amis et parents de fortune. Mais sur ce dernier aspect aussi, rien ne nous est épargné quant au négatif de chaque situation, systématiquement affublée d'un bon et d'un mauvais coté. Car c'est avant tout le récit d'une volonté de survie extrêmement difficile qui prédomine, et tout le monde est égal devant la souffrance et l'emprisonnement.
Le cinéaste n'hésite donc pas à montrer que même la peur de la Grande Faucheuse réduit à néant classes sociales et surtout vertu, au point parfois d'inciter chacun à s'emparer de la gamelle de son prochain...



Pourtant le film ne sombre jamais dans le catastrophisme, parce que le gamin porte sur ses frêles épaules fantasques tout le poids de l'espoir et d'un optimisme en lutte constante. Comme lui, on a même envie de croire que l'étrange effet de flash dans le ciel -la bombe H sur Hiroshima- , c'est sans doute Dieu qui prend une photo de madame Victor...
Mais derrière l'apparence d'un "happy-end" hollywoodien, Spielberg a encore l'élégance de ne pas mentir: dans les bras de ses parents retrouvés, l'enfant n'est plus, et la caméra s'attarde sur ses yeux en guise d'épilogue.
Il a le regard d'un vieil homme.
Presque d'un mort.


Laurent.

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