Cinémotion: The Fisher King (Terry Gilliam - 1991)

- J'ai soif,
dit le roi mourant au bouffon.
Le bouffon ramasse une coupe au pied du lit, la remplit d'eau et la tend au roi.
La douleur du roi disparait soudain et il réalise que c'est le Graal qu'il tient entre ses mains.
- Comment as-tu pu me trouver ce que toute ma vie j'ai cherché sans succès ?
C'est l'histoire d'une rencontre salutaire, d'une amitié improbable et extraordinaire entre deux grands blessés de la vie.
L'un est une ex-vedette de radio, l'autre un ancien professeur d'université.
Au début, Jack est une voix sûre et corrosive, une star de la FM qui chaque jour entend les soucis et les chagrins de ses auditeurs. Il en a fait son beurre et se fout éperdument de ce que ses clients lui racontent, n'hésitant pas à les envoyer paitre en ricanant. Mais ça fait partie du show, l'audience est bien là et en redemande.
A tel point que Jack se voit un jour courtisé par la télé, cette dernière lui offrant l'opportunité de jouer son propre rôle de méchant sorcier des ondes dans une sitcom.
Perché au sommet d'une tour de verre, le luxe froid et ultra aseptisé de son appartement est à l'image de l'homme, plein de certitudes. Un monstre de narcissisme et d'égoisme, la star qui maudit ses joues, se fait des masques de boue en se prélassant dans l'eau savonneuse de son jacuzzi.
Le voila en train de danser en peignoir devant sa télé.
C'est à ce moment précis que les informations du soir annoncent une tragédie terrible, ce moment où le destin de Jack va complètement basculer: un de ses fidèles auditeurs a interprété au pied de la lettre quelques paroles de l'animateur et a ouvert le feu dans un bar à la mode.
Bilan: sept morts.
En apprenant la nouvelle, le visage de Jack se métamorphose.
En quelques secondes, le Jack roi de la FM cesse d'exister.
L'homme si sûr de lui devient tout à coup un petit enfant horrifié, dépossédé de tout et d'une fragilité extrême...
Trois ans se sont écoulés, et aujourd'hui Jack est une loque, un alcoolique dépressif qui ne sait plus aimer et travaille plus ou moins dans un vidéoclub miteux dirigé par sa compagne, une femme très amoureuse et désespérée de ne pouvoir le guérir de sa hantise. Rongé par la culpabilité après la tragédie survenue trois ans plus tôt, il songe même au suicide.
Mais il sera sauvé in extremis par Parry, un drole de clochard convaincu que Dieu l'a chargé de retrouver le Saint Graal quelque-part en plein New York, et voyant en Jack un envoyé du ciel qui va l'aider à accomplir avec succès sa quête.
Parry est en fait un ancien professeur de littérature ayant perdu la raison après avoir vu sa fiancée mourir violemment devant lui dans le bar, le soir du grand drame. Lorsque Jack l'apprend, il se sent redevable d'une dette envers son nouvel ami, et va le suivre malgré lui.
Tous deux vont ainsi s'entraider pour trouver leur Graal qui est loin d'être la coupe dérisoire prenant la poussière à l'intérieur d'une grande demeure sur la 5eme Avenue.
Le Graal de Parry est en réalité une jeune femme maladroite et timide qui ne se sent pas assez jolie pour être aimée, et qu'il passe ses journées à observer discrètement dans la rue.
La Graal de Jack est de perdre enfin son sentiment de culpabilité, de payer sa dette, et pour cela il doit aider son ami à exaucer son voeu le plus cher...
A travers ses films, Terry Gilliam n'a cessé de nous dire que la réalité ressemble souvent à la fiction, que l'imaginaire et tout ce qui le stimule a un pouvoir salvateur.
En proie à des hallucinations, Parry se voit poursuivi par un terrible chevalier rouge qui personifie la réalité de son passé comme réduit et stoppé à ces quelques minutes trois années en arrière, ce moment durant lequel son destin a subi le cataclysme dont Jack est aussi la victime. Mais ce monde imaginaire dans lequel il vit lui donne aussi un but, le sauve, et va aider indirectement les deux hommes dans leur quête personnelle.
Gilliam filme ces droles de personnages en marge de la société avec une tendresse et un humanisme incroyables, nous montre à quel point le vrai bonheur tient à peu de choses. Mais il nous montre surtout que la vie n'est jamais une rivière tranquille, que rien n'est acquis. Parce que le destin est constamment un fil d'argile maléable et d'une fragilité extrême, tout peut basculer à nouveau, brutalement et extrêmement vite.
Ainsi, lorsque tout semble résolu, lorsque Jack est parvenu à provoquer le rendez-vous galant pour son ami qui séduit enfin la femme de ses rêves -séquence magique- , Parry est à nouveau la proie du terrible souvenir -le chevalier rouge!- et fait une très grave rechute, se retrouvant à l'hopital psychiatrique dans le coma. Ce violent retournement de situation survient au moment où le spectateur pouvait croire que le film se terminait là, de façon positive pour tout le monde, telle une belle histoire qui commence mal et se finit bien.
Ce n'est pas le cas. Pas encore.
Une nouvelle tempête balaye tout, les couples se défont dans la douleur et Jack rechute sévèrement lui aussi: il redevient finalement le Jack d'avant, de retour sur les ondes, ignorant ses anciens compagnons de rue. Et Gilliam souligne le fait qu'être roi est aussi un état d'esprit dont on ne peut se défaire que très difficilement, un roi reste un roi.
Mais Jack n'est quand même plus le même. Il est un roi souffrant, incapable d'oublier son drole d'ami qui l'a sauvé de la mort...un peu comme dans l'histoire originale du Roi Pecheur, lorsque le bouffon tend le Graal au roi, et le sauve.
Même s'il n'est pas directement responsable de l'état actuel de Parry, la culpabilité est revenue et continue à le hanter, lui donnant le sentiment que "même lorsque la vie lui sourit, il a l'impression que c'est pour mieux lui faire la gueule". Jack ne rêve maintenant que d'une chose: voir son ami sortir du coma pour se sentir enfin libre.
Alors il va tenter l'option de la dernière chance, prendre enfin son courage -son Graal- à deux mains dans une des séquences les plus droles du film. Et parce que la vie est aussi faite de ces particules de miracles et de bonheur, c'est par une pirouette sublime que le film fait alors éclore une fleur d'espoir, nous rappelant que si rien n'est jamais acquis, rien n'est jamais perdu non plus, tout peut arriver:
cette fois, c'est le roi qui va apporter le Graal au bouffon et le sauver...
De retour parmi les vivants, Parry transforme l'asile et ses internés... en chorale chantant "I like New York In June" ! Le spectateur se souvient alors de cette jolie scène, juste avant la chute, lorsque Parry est en compagnie de sa dulcinée, et attrape discrètement sur un tas d'ordures l'armature en fil de fer d'un bouchon de champagne. Elle lui parle de ce que l'on jette -un peu comme les internés et toutes celles et ceux que la société considère comme ses rebuts-. Elle même qui se croyait inutile et pas suffisamment belle pour trouver l'amour, semble métamorphosée par cette rencontre, son visage, sa beauté se sont illuminés tout a coup. Parry lui dévoile alors la paume de sa main sur laquelle est posée la petite armature transformée en minuscule chaise, et lui dit qu'"il y a souvent des choses magnifiques dans ce que l'on jette".
Et voila l'histoire de Jack et Parry, ces deux infirmes de l'existence qui eux aussi donnaient l'impression d'être finis, presque "bons à jeter". Une terrible tragédie les a réunis, et a remis en marche le coeur d'un roi qui en semblait dépourvu. Sa rencontre avec Parry l'a rendu humain. Quant à ce dernier, il n'aurait jamais vaincu le chevalier rouge sans cette rencontre.
Evolution heureuse et réciproque qui jaillit de cet ultime dialogue, tandis que nos deux héros dans le plus simple appareil, ont les yeux tournés vers le ciel, en pleine séance de "brise-nuages" -moment drolatique!- :
- avec la force de l'esprit, j'ai tranché ce nuage ! dit Jack, l'ex-cynique terre à terre.
- tu es fou, c'est le vent ! réplique Parry l'ex-psychotique rêveur
Gilliam signe un superbe film qui développe ainsi de la plus belle façon qui soit l'idée que même si l'on ne peut jamais totalement l'immobiliser entre nos mains, il existe toujours un moyen de retrouver son bonheur, son "Graal".
Un hymne à l'amitié et à l'espoir, servi par des acteurs et des actrices dans un état de grâce.
Laurent.
Libellés : cinema, critique de film, ecrits perso
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